REFLEXIONS sur la LENTE DERIVE RACISTE de la SOCIETE CORSE
L'attentat de Calvi met en lumière ce phénomène et sa justification au nom de la corsisation
Y-a-t-il une possibilité de retourner à ce que Mirabeau appelait "l'agrégation inconstituée de peuples désunis". Ce qui était possible dans un marché restreint a-t-il un sens aujourd'hui, existe-t-il des aires de déplacement restreintes pour un marché, pour des populations ?
La Corse, avant d'autres provinces, est passé de l'ère des paroisses à l'ère monarchique puis vint la révolution de 89. La révolution installe le sentiment d'appartenance à une communauté librement consentie. L'époque des sujets et des gjhos est remplacée par celle du citoyen. Sur cette base, se met en place une administration, des droits égaux pour tous. Le département et la commune en sont les bases depuis plus de 200 ans.
Rien n'est simple, une révolution amène aussi des contradictions, les luttes entre l'ancien et le nouveau, ce que beaucoup tente depuis des siècles, prend forme. Le décret du 11/08/89 en est une illustration :
"une constitution nationale et la liberté publique étant plus avantageuse aux provinces que les privilèges dont quelques-uns jouissent et dont le sacrifice est nécessaire à l'unité interne de tous les partis de l'empire, il est déclaré que tous les privilèges particuliers de provinces, de principautés, pays, cantons, villes et communautés d'habitants, soit pécuniaire, soit de tout autre nature, sont abolis sans retour et demeurent confondus dans le droit naturel de tous les français"
C'est l'essor des communications et du marché national, les progrès de l'instruction et l'accoutumance aux règles de la démocratie qui l'emportent sur le localisme des paroisses, pays et provinces. Les grandes guerres firent le reste.
La crise, l'illusion du repli national ou régional, l'utopie du partage dans la communauté, autant de thèmes populistes, simplistes, du refus d'analyser l'économie dans son réel, l'adaptation aux contraintes du marché -capitaliste- imposées par des choix politiques nationaux ou mondiaux relayés localement.
"La France aux Français, priorité aux Corses" avec toutes les précautions ou tous les justificatifs sert à masquer une réalité et l'essentiel pour se replier sur des solutions porteuses en elles, non pas d'une construction de changement révolutionnaire mais d'intérêts de groupes bien identifiés que l'on s'efforce de définir par le droit du sol ou du sang s'enlisant lentement dans l'ethnisation du problème, dans le communautarisme.
L'expérience de l'histoire récente en France avec l'extrême droite, en Allemagne dans les années 36, ou dans les Balkans, devrait amener réflexions sur ce populisme et les intérêts qu'il recèle pour ceux qui rêvent d'imposer leurs vues.
Je paraphraserais un illustre dictateur "La nation est une communauté humaine, stable, historiquement constituée, née sur la base d'une communauté de langues, de territoires, de vie économique et de formation psychique qui se traduit dans une communauté de culture". Un demi siècle après, on sait comment Staline a utilisé cette définition de la Nation qui esquissait en fait les contours d'une ethnie tout en ne niant pas l'importance de la vie économique dans cette citation.
L'ethnisation devient phénomène inquiétant de dérive de la société car il définit des critères entre les individus, critères de droits, de hiérarchie, suivant le nom, le lieu de naissance , la parenté, le lieu de résidence, imposant au nouveau arrivant un critère d'intégration à marche forcée. Nous sommes à la lisière entre l'ethnie constituée et les autres, nous flirtons avec les thèses d'essence racistes...
Le droit défini ainsi amène chez nous la culture de l'assimilation et le refus du droit à la différence que nous voulons pour nous mais que nous refusons aux autres. La différence n'est plus une source de richesse, d'enrichissement réciproque mais de repli identitaire symbolique qui peut apparaître plus protecteur, dans un monde en crise et en recul de civilisation. Cela engendre des comportements d'exclusion, la résurgence d'un nationalisme militant agressif, violent, très politisé dans la continuité des nationalismes européens -Serbes, Croates, Italie du Nord, etc...- (il y a eu peu de condamnation de l'attentat de Calvi).
Ces thèses sont un véritable rideau de fumée qui empêche ou freine l'émergence d'un courant démocratique émancipateur, agissant sur le réel, pour modifier le niveau de vie des populations pour prendre en compte réellement les spécificités liées à l'insularité. Chacun s'accordera à reconnaître les difficultés, voire les oppositions du mouvement nationaliste aux grands conflits sociaux de 89 et 95 qui portaient sur le pouvoir d'achat et sur l'égalité de traitement avec le Continent. Cela démontre la fragilité de thèse d'essence petite bourgeoise en quête de reconnaissance, de tentative de sauver ce qui peut l'être en donnant à chacun l'illusion de pouvoir garder ses privilèges.
L'histoire a entremêlé les groupes, les familles, les modes de vie, le brassage s'est accéléré au cours des dernières décennies. La suppression des frontières, le marché libre, la concurrence entre les hommes, les marchandises, augurent une vie de brassage et d'assimilation anglo-saxonne.
Les vieilles nations européennes sont soumises aux diktats du FMI et de l'OMC, reste le vieux cadre national et ses atouts qui sont un handicap pour le libéralisme -ce qu'ils appellent les contraintes-, statuts, conventions collectives, code du travail, SMIC, sécurité sociale, allocations familiales, services publics, égalité de droit et de traitement devant la loi, etc...
La nation française qui a su se débarrasser de son nationalisme a tissé au long de l'histoire, par les luttes, par son peuple, un statut social mis à mal par une Europe qui se construit contre les droits acquis, par un capitalisme dans la sauvagerie n'a d'égal que son arrogance à détruire pour rentabiliser en délocalisant à tour de bras.
Les nations ne sont pas condamnées, car elles sont des constructions centenaires attachées à la vie économique, sociale et culturelle des populations en évolution constante soumise aux réalités du rapport de force entre le capital et les droits sociaux.
Il n'y a pas d'avenir pour le repli sur soi, ni hier, ni aujourd'hui et encore moins demain, là où le temps s'est arrêté, ce sont les peuples qui ont souffert et les réveils douloureux.
J.-C. G